La nouvelle qui suit a été écrite à deux. Sur l’idée d’un mafieux, histoire de tuer l’ennui et d'une vilaine fille en manque de divertissement presque passée inaperçue. Un début posé, et les phrases se sont enchainées aléatoirement. Bon courage!
***
La loi du ventre est-elle vraiment si prégnante? La télévision était allumée et, comme à son habitude, elle crachait un flot d'images et de propos inintéressants. Coupure pub: "Michelin vous fait du bien, deux pour le prix d'un". Le visage marqué et une
bière à la main, Laurent regardait celle qui était devenue l'amante de ses nuits. Il était vraiment tard, ou presque tôt. Peu importe il faisait chaud. La fenêtre ouverte n'amenait qu'un air lourd et pollué. Foutue journée.
Un
rôt plus tard et quelques changements de chaîne, il se gratta le ventre et trouva la courage de se lever. Ses grosses jambes et son ventre imposant rendaient ses déplacements difficiles mais qu’importe il devait s’alimenter. Direction le frigo… Il croisa sur sa route quelques chaussettes abandonnées, rendant pitoyablement l'âme. La cuisine, enfin, au bout du couloir. Il s'arrêta, le souffle court, et s'appuya sur le chambranle de la porte. Grincement du bois qui souffre. Et la belle vision du carnage.
Comment avait-il pu l'oublier? Cette masse immense et sans forme se fondait parfaitement dans la crasse ambiante de sa cuisine. Au milieu de vaisselle salle, de torchons tachés et de paquets ouverts et non rangés se tenait étendu de tout son long un
obèse dont le t-shirt blanc était souillé de
sueur. La barbe songea-t-il, vaguement ennuyé. Il tenta une approche, et à mi chemin recula, écœuré par l'odeur. Il aurait fallu qu'il trouve la force de le traîner jusqu'à la salle de bain. Trop loin. Il se contenta d'attraper le diffuseur, de l'ouvrir, et d'asperger de loin, en tendant bien le bras. Maintenant, le frigo.
Chez lui, la loi du ventre avait toujours dominé. Qu’importe les problèmes du moment que son appétit sans borne était satisfait. Il enjamba son lourd fardeau et jeta un coup d’œil sur les quelques aliments qui subsistaient encore dans le dit appareil électroménager. Un fromage, trois yaourts périmés et un poireau verdâtre. Soudain il fut prit de nausée et ne réussit pas à retenir une montée de
liquide gastrique. Un réflexe bienvenu lui sauva la mise. Et il vomit tout son saoul dans le bac à légume. Il fut remplit en quelques minutes. Et on pouvait observer quelques morceaux colorés qui flottaient plus ou moins bien, avant de couler. Avalés par l'horreur. Il releva la tête, l'estomac encore agité de spasmes. Il ne se sentait pas le courage de regarder de nouveau l’obèse. En effet, c’est en voyant que ce dernier avait le crâne fracturé et qu’une partie de sa cervelle s’étalait à même le sol au milieu d’un kaléidoscope de céréales écrasées que le
vomi trouva son origine. Le dégoût passé, il décida de se recentrer sur son problème principal : que manger ? De la vapeur aurait presque pu s'échapper de ses narines sous l'effort. Mais rien. Il savait les placards vides et ne pouvait compter sur son amant frigorifié. Son regard dériva malgré lui sur la
cervelle à terre. Ses céréales préférées en plus.
Comment expliquer le passage du dégoût à la tentation ? Cette substance rosâtre qui d’aspect semblait
gluante commençait à lui mettre l’eau à la bouche. Il s’imaginait un délicat mélange entre le croquant des céréales et le goût de viande. Un frisson lui parcourut le corps et il sentit son rythme cardiaque s’accélérer. D’un coup, il s’agenouilla et entreprit de collecter les bouts de cervelle qui jonchaient son parquet. Le fait de toucher ces derniers le conforta dans ses plans ; il lui fallait absolument s’alimenter de cette façon, il en était dorénavant certain. Prenant avec la main restée libre quelques débris de céréale qu’il envoya dans sa bouche sans discernement, il ajouta ensuite les quelques morceaux de cervelle récoltés quelques secondes auparavant. La sensation était exquise…
Le mélange glissait, râpait ses papilles, l’excitant au possible. La substance accrochait ses dents, se logeait dans le creux de ses joues et il jouait de la langue sans se lasser pour profiter des morceaux tendres. Il en avalait quelques uns, appréciant de les sentir glisser dans sa
gorge. En suçotait d’autres, dégustant ce goût jusque là inconnu. C’était comme s’il venait de découvrir l’électricité… Ses sens s’affolaient, il sentait son cœur battre plus vite et, alors qu’il venait d’avaler le dernier petit morceau de cervelle, il se rua de nouveau sur le crâne de l’obèse étalé à quelques centimètres de lui. Il lui en fallait plus…
Agenouillé près du corps, ses yeux avides scrutaient la fracture. Une dernière once d’hésitation et ses mains plongèrent vers le crâne, écartant les lèvres de la blessure. La chair résista avant de s’écarter, dévoilant le met convoité. Ses doigts fébriles dessinèrent les contours visqueux de la cervelle, puis agrippant pleinement celle-ci tentèrent de la déloger de sa cavité. La masse glissa entre ses doigts, insaisissable. Il grogna, tout à son travail, l’estomac agité dans l’attente du festin. Puis saisi d’une idée, approcha sa bouche de la plaie… Ne pouvant plus se contenir et produisant plus de salive qu’un être humain en une semaine, il se rua sur la
plaie encore sanguinolente. Avec difficulté, il écarta le plus possible la blessure et croqua à pleine dent la cervelle tant convoitée. Il était en état de transe, ne se rendant pas compte du dégoût qu’il aurait pu inspirer. Il devait avaler, manger,
ingurgiter cette nourriture rare et profiter de cette expérience qui ne se représenterait probablement jamais.
La bouche encore à demi pleine, il se releva, ressentant le besoin de s’éloigner. Il se sentait observé, le regard vide du mort posé sur lui. Il voyait même un sourire se dessiner sur la bouche tuméfiée. Il frissonna, vraiment secoué. Juste une hallucination, juste une étrange hallucination. Rien d’effrayant, oui vraiment rien tenta-t-il de se rassurer. Tout est absolument normal. Il s’essuya la bouche d’un revers de main. Il voulait quitter cette pièce, sans pouvoir faire un pas. Il restait immobile au beau milieu de la cuisine silencieuse. Il fixait le
cadavre au crâne vide, s’attendant presque à ce qu’il se relève et l’oblige à lui rendre ce qu’il lui avait dérobé. Il resserra ses bras autour de son ventre dans un geste protecteur.
Il se rendit soudain compte de l’acte barbare qu’il venait d’effectuer comme s’il arrivait à prendre le recul qu’il lui avait manqué pendant quelques minutes. La loi du ventre était-elle si prégnante que cela ? Il était cependant loin d’être dégoûté par ce qu’il avait effectué gardant en bouche le délicieux goût de la cervelle fraîche. Et pourtant… Son corps fut pris de spasmes, sa respiration se fit plus saccadée et il se mit à mordiller sa lèvre inférieure nerveusement. Il chancela, et tout autour de lui les murs s’effacèrent, la cuisine ne lui apparut plus que dans un épais brouillard. Il bascula, tentant de se raccrocher aux meubles, sans que sa main ne rencontre rien. Le vide, et la chute. Sa tête heurta le sol.
Craquement. Fracture. Ouverture. Fêlure. Le crâne explose littéralement, le choc est trop violent pour cette boite crânienne. La substance tant aimée quelques minutes plus tôt se répand tout autour du corps du nécrophile adepte de cerveau. Soudain, par un malheureux hasard, passe hot dog, le chien de Laurent. Attiré par cette chair étrange et délicate, il se met alors à lécher le sol puis, comme pris de folie, s’attaque à celle encore présente dans le crâne de son ancien maître. N’est pas
chien qui veut…