De l'encre dans les veines
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De l'encre dans les veines

Une plume au bout des doigts, un monde derrière la tête...
 
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A. N. O'Nyme
Plume habituée
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A. N. O'Nyme


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Date d'inscription : 28/08/2007

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MessageSujet: Noblesse Oblige   Noblesse Oblige EmptyDim 30 Jan - 22:12

Voilà un projet de nouvelle, qui sera peut-être longue, sur lequel je travaille depuis un petit bout de temps. Je vous livre le premier fragment, chapitre me paraissant un peu trop pompeux pour une bribe de nouvelle. Enfin je me tais, et je laisse place au texte.



I


« Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeur des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs ! »

Arthur Rimbaud, Départ


- Allez, saute.

Il n'entend pas. Son regard s'est perdu. Il s'est un instant envolé vers la lune rousse, s'est posé sur la tour de Staré Město. Il est revenu à ses pieds en glissant sur les pavés mouillés, m'a brièvement effleuré, a enjambé le parapet et s'est plongé dans les flots sombres de la Vltava. Il a louvoyé entre les éclats de lune électriques, a contemplé quelques étoiles noyées. Il a rendu visite à l'horizon et effleuré la nuit. Entre deux tristes lampadaires, il s'est trouvé un pan de ciel vierge et s'y est prélassé, défiant quiconque de venir l'y chercher. Les clochers ont sonné, ne l'ont pas dérangé.
Une dentelle de pluie s'écorche à des rayons de lumière. Ses mains se crispent sur la pierre de la rambarde. Son corps longiligne se déploie comme une voile sur un mât. Une mélodie naïve salue cette ombre. Muscles tendus et bras en croix, il surplombe la Vltava. Est-ce bien un air d'harmonica ? Rêveur grimpé au grand hunier, il ferme les yeux, hume la brise. Il déclame et pille l'homme aux semelles de vent sans le moindre scrupule. Ses yeux gris s'entrouvrent sur son monde aboli. Il distingue cette lande désolée, battue par les vents où subsistent à grand-peine les silhouettes torturées de quelques arbres rachitiques. Leurs mortes feuilles s'envolent et tourbillonnent dans la bise acérée, effleurent la falaise puis giflent le marcheur solitaire. Plein d'angoisse vespérale, il poursuit un fantôme jusqu'au bord du vertigineux granit. Les sentiers se dérobent sous son pas hésitant. Toujours cette obsession de l'abîme et ce besoin de se mettre en danger, quel que soit l'univers qu'il visite. Mais il ne tombe pas, ici ou ailleurs. Il regarde la nuit épouser l'Océan puis referme les yeux.
Comme je hais les poètes !
Pourquoi rêve-t-il de telles solitudes ? Il est fils de la Ville, de ces foules grouillantes dans les ruelles tortueuses et les avenues glaciales où le regard se perd. Il est né pour ces boulevards sans nom, ces ponts et ces pavés, ces immeubles et ces musées. Ces places, ces murailles, ces clochers. Il cherche encore cette Ville idéale où son âme pourrait reposer. Je l'ai suivi, de rêves en trains, d'autoroutes en navires. Il fuyait sans cesse un lieu pour un autre. Il m'a fait parcourir notre vieille Europe selon les itinéraires les plus improbables, à la poursuite de son but illusoire. Il a été incapable de se sentir chez lui, où que ce soit. Il s'est toujours senti seul, dans ces foules polyglottes ou au milieu des champs. Dans les cris, les rires, la fête, il était seul. A mes côtés, il était seul. Il m'a entraîné dans sa course folle. Il n'avait ni but ni bagages. Il poursuivait un fantasme depuis longtemps en-allé. Ou peut-être fuyait-il des souvenirs trop douloureux. Je l'ai suivi, pourtant, et le suivrais au bout du monde s'il le fallait. Peut-être suis-je une sorte d'âme damnée. Je l'ai suivi partout, telle son ombre. Je l'ai vu changer à mesure que s'égrenaient les kilomètres. Le chemin seul avait de l'importance, ce chemin des écoliers peuplé de détours, qui se figeait ou s'accélérait. Voici enfin venu le terme de notre course folle. Aujourd'hui, il part où je ne puis l'accompagner. Il accomplit son dernier voyage. Il règle ses comptes avec celui qu'il a traqué de Paris à Kiev, de Palerme à Stockholm.
Il va assassiner l'espoir.

Son adieu va - meurt dans l'air coupant de novembre. Extatique, il écoute le silence. Il a renversé la tête en arrière. Les lumières électriques jouent dans ses cheveux blanchis avant l'âge. Il se détourne de moi. Il lui suffit désormais d'un pas en avant pour oublier. Mais il reste immobile. Au loin, la ritournelle aigrelette d'harmonica a repris. Je pressens l'acte manqué.
- Allez, saute. lui murmuré-je encore.
Ses bras retombent le long du corps. Il semble vidé de cette énergie qui l'instant d'avant l'investissait d'un pouvoir prophétique. Soudain hésitant, il souffle :
- Ce fleuve en bas, ces lumières tout autour, cette lune si haute dans le ciel, la ville apaisée. Le pont, moi sur la rambarde et toi à mes côtés, comme toujours. Cela ne te rappelle rien ?
- Bien sûr que si.
Ses épaules se détendent. Même s'il se tient toujours droit, il semble cependant se recroqueviller sur lui-même face à l'ampleur de l'acte qu'il s'apprête à commettre. Le suicide est un péché mortel. Pour y céder, il lui faudrait plus de volonté. Peut-être un peu de courage liquide suffirait-il. Je lui tends, magnanime, la fiole métallique. Il la saisit, la lève à hauteur d'yeux.
- Qu'est-ce ?
- Absinthe, tu le sais bien.
Satisfait, il dévisse le flacon et le porte à sa bouche. La magicienne lui offre ses lèvres au goût d'éternité. Moi, je veille sur lui tandis que la fée verte le prend par la main et l'entraîne sur son vaisseau de brumes. Une cruelle impression de déjà-vu s'empare de mon esprit. Il abandonne le parapet du Pont Charles, comme il glissa de celui du Pont des Arts vers le trottoir humide, comme il s'assit sur les planches du Pont du Diable, comme il se releva sur une obscure route de campagne. Je le soutiens sur le chemin qui mène à notre hôtel, comme je le soutins entre les immeubles parisiens ou les arbres savoyards. Nous tanguons dans les rues comme nous tanguâmes à Rijeka ou à Oslo. Il chancelle comme à Tallinn, je le rattrape comme à Budapest. Pourquoi restai-je à ses côtés tout au long de son voyage ? Il voudrait s'enfuir, voguer sur le Léthé. Mais il fait partie, et c'est son drame, de ceux incapables de mourir.

Après plusieurs tours et détours, nous retrouvons l'hôtel. Comme je pousse la porte vitrée, un rectangle de lumière crue se dessine sur le trottoir puis nous pénétrons enfin dans la chaleur de la pièce. Le réceptionniste dissimule derrière une main son bâillement de tigre et me tend la clef de l'autre. Je lui adresse un sourire amer qu'il ne remarque pas. Appuyé sur sa main droite, il somnole déjà. Je me demande combien de nuits il passera encore ici, attendant l'aube, les yeux rivés sur l'entrée malgré le sommeil qui pèse sur ses paupières. Ole s'appuie d'une main contre le mur, espérant que le parquet cesse enfin de tourner. Doucement, je passe mon bras sous le sien. Je stabilise son vertige et je l'entraîne pas à pas en direction de notre refuge du moment. Nous dépassons l'ascenseur hors service. Les escaliers l'épuisent, il trébuche sur leurs marches escarpées et c'est hors d'haleine qu'il atteint le troisième étage. Sa chemise se colle à sa peau moite et des gouttes de sueur perlent à son front mais ses lèvres bleuies tremblent au rythme de ses claquements de dents. Sa fièvre chronique l'a repris, hissant son drapeau sur la citadelle mille fois conquise et abandonnée. Il n'a toujours pas réussi à oublier.


- Va, dors.
Je le couvre soigneusement de la couverture tandis qu'il s'agite, perdu dans un cauchemar récurrent. Il ne perçoit plus rien du monde extérieur, ni la lumière de la chambre, ni le froid de l'eau que je lui fais boire, ni les mots sans suite que je prononce pour le calmer. Je lui susurre une vieille rengaine en essuyant son visage brûlant. « Chut... Ne t'en fais pas, ça va aller... Va, dors... » Des bribes de phrases rassurantes s'échappent de mes lèvres. Je commence à avoir l'habitude de ses crises. « Tu vois, je suis là. Tout se passera bien, tu verras. Allez, ça ira mieux demain... » Il s'apaise, se laisse glisser vers le sommeil. Je le borde comme un enfant, je le caresse, je le calme. Surtout qu'il sache que quelqu'un est à côté de lui, afin de l'aider à lutter contre l'hallucination, a dit le docteur de Hambourg. Ou était-ce Livourne ? Maintenir un flux constant de paroles, même si elles n'ont aucun sens. Et surtout éviter tout mot pouvant réveiller un souvenir douloureux. Badiner, parler du temps qu'il fait, de voyages, d'un hypothétique retour en France, de...
- Mette ! Mette !
Il s'est brusquement redressé, comme possédé. Il se dégage d'un coup d'épaules de mon étreinte. Il s'agite, il gémit, il se débat, fixant intensément le vide. Il la voit. Je n'ai pas su enrayer ses associations d'idées, il est à Paris par une tiède après-midi de septembre. Il est penché au balcon d'un cinquième étage et contemple une silhouette qui s'éloigne entre les arbres aux feuilles jaunies. Elle oscille en descendant la rue, puis passe le coin et disparaît. Il tend une main vers elle. Il est déjà trop tard. Cela fait onze mois qu'il est trop tard pour lui courir après, pour la rattraper. Il ne peut plus que fuir sans fin ses regrets, dans une course effrénée de ville en ville. Il fond en larmes, la voix brisée. Je le rallonge doucement et rajuste sur lui les draps. Il se laisse faire telle une poupée de chiffon, obnubilé par son souvenir.
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MessageSujet: Re: Noblesse Oblige   Noblesse Oblige EmptyLun 21 Fév - 19:33

J'ai commencé à lire (je te promets que je lirai tout mais j'suis déjà en retard). Mais bon, je laisse quand même un mot ici parce que comme d'hab', je suis toujours aussi fan. J'aime beaucoup toutes tes images, ta poésie. C'ets beau, c'est léger, on flotte. On n'a qu'une envie : continuer.
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MessageSujet: Re: Noblesse Oblige   Noblesse Oblige EmptySam 26 Fév - 17:33

Même commentaire que Lika, sauf que moi j'ai tout lu. C'est bien mené, on voit tout et on ressent tout. Le seul petit détail qui m'a gêné, c'est quand tu as mentionné "je" pour la première fois. Mais bon c'est sans doute parce que je ne m'attendais pas du tout à ce que cette vision soit celle d'un personnage. Et puis au début je pensais que "je" était quelque chose d'abstrait. Mais ça, ça ne m'a pas dérangé, parce que le texte m'a amené à une personne petit à petit.
Enfin bref, je chipote. ^^ C'est vraiment beau.
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Snoop
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MessageSujet: Re: Noblesse Oblige   Noblesse Oblige EmptyVen 4 Mar - 17:00

Que dire, Ô Grande Prétresse de l'Ecriture ?! J'adore, encore une fois. C'est quand même fou. A partir d'un thème rabâché encore et encore, d'une sorte de cliché pour nouvelle, toi, tu écris ce superbe texte (et en plus c'est pas fini). Ton texte est très beau, plein de poésie, comme le dit lika. Je ne sais pas trop quoi ajouter.
Ah, si : il m'a fallu cinq minutes pour comprendre que Mette, c'était son prénom Razz
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Lolilola
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MessageSujet: Re: Noblesse Oblige   Noblesse Oblige EmptyMer 9 Mar - 13:34

J'ai trouvé ton texte très beau... Comme d'habitude. Tu manies l'abstrait, le poétique, l'absinthe, l'abîme, la ville, le voyage et la folie avec des mots de fée. On se laisse emporter par la fluidité des mots. Comme l'a dit Lika, on flotte. Je crois que mon passage préféré est celui où ils rentrent à l'hôtel. Tu nous montres que tu sais aussi manier des scènes "réalistes" mais c'est toujours le même style, presque irréel. Tu verses dans la prose poétique sans jamais tomber dans l'excès ou nous lasser.
J'ai simplement trouvé que dans ton paragraphe après "Comme je hais les poètes !", il y a un peu trop de "il". Au début c'est enchanteur, ça instaure des débuts de phrase, litanie presque hypnotique. Mais tu glisses cette phrase : "Je l'ai suivi, de rêves en trains, d'autoroutes en navires." et cela casse ton illusion. Du je au milieu du il : ça fait tâche. Quand on repart dans toutes ces troisièmes personnes après cette pause, elles nous paraissent répétitives.

"Leurs mortes feuilles"
C'est une tournure inversée qui n'apporte rien que de la lourdeur. Je l'ai trouvée bancale et elle a cassé ton rythme parfait. "Feuilles mortes" sonne tellement plus simple et agréable.

"- Va, dors."
Tes dialogues ne me paraissaient pas très naturels (qu'est-ce, ce fleuve en bas, etc.) mais ça passait parce que c'était le poète qui parlait. Là, le "va" m'a bloqué venant de l'autre. On ne me dit pas "va, dors" tous les jours ; "va, laisse faire" mais c'est tout. "Va" est quand même un impératif pas très utilisé. J'ai trouvé que ça clochait un peu. de l'employer dans ce texte dans la bouche du narrateur.
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